Fayçal – Chants de ruines

Je ne peux pas dissocier Fayçal de Bordeaux, où j’ai grandi : j’ai trop écouté « La Belle Endormie » à chaque fois que je me sentais nostalgique. Je m’apprête à lancer son dernier EP, Chants de ruines comme on traverse la Garonne en Flixbus pour rentrer à la maison après des mois d’absence. J’ai hâte de retrouver une plume qui a immédiatement parlé à l’auditeur que j’étais à 16 ou 17 ans, persuadé qu’il n’y avait pas de valeur plus haute que l’écriture dans le rap. Dans sa musique, c’est d’abord ça qui est mise en avant : ses auditeurices et les autres rappeurs avec qui il travaille viennent chercher un lyriciste.

C’est aussi un rappeur qui a de la bouteille : mine de rien, il officie depuis plus d’une décennie, sans jamais avoir laissé de côté ni son boom-bap orthodoxe et précis , ni sa droiture de grand frère mature et réfléchi. Ce bagage accumulé lui offre le luxe de prendre son temps, et de ne revenir que quand il aura à proposer à son public un joyau aussi patiemment travaillé que les précédents. Chants de ruines s’est donc fait attendre, et malgré quelques couplets sortis dans l’intervalle, je retrouve un artiste qui a engrangé des années de vie depuis la dernière fois que j’ai eu sa musique dans les oreilles. Je suis donc impatient de l’entendre.

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Fayçal parle de la vie comme d’un parcours le long duquel il combat sans relâches contre des démons dont il tait pudiquement les noms. La succession d’images sur lesquelles il faudrait méditer une heure chacune laisse entrevoir une lutte perpétuelle pour se sortir des ornières et des pièges qui parsèment cette route sur laquelle il fait toujours sombre. De la nature des épreuves que le rappeur traverse, on ne saura rien ou presque.

Ce n’est pas ce qui compte. Ce qui compte c’est de parvenir à sublimer le matériau brut de la vie pour en tirer ces diamants de beauté pure, ces moments d’absolu capturé dans les images du bordelais comme un insecte piégé dans l’ambre.

Les prods viennent servir d’écrin à ces images Dans l’habillage qui entoure des rythmiques sans fioritures, on entend des aurores boréales, des larmes de cristal qui tombent des étoiles. Mention spéciale pour l’intro de « Ballade en sourde oreille » où la voix du bordelais semble flotter au milieu d’un ciel d’orage avant que le kick ne vienne permettre à l’auditeur de comprendre où est le sol.

On pourrait avoir l’impression d’un poète solitaire qui marche seul sur son chemin – derrière le lyriciste on devine un homme discret et réservé – c’est d’ailleurs aussi leur profonde pudeur qui rend les textes de Fayçal si beaux. Pourtant, derrière ce « je », parfois un « nous » est esquissé.

Le rappeur est d’ailleurs bien entouré sur « Trente trois milles et des poussières », un posse cut qui me rappelle les freestyles de 30 minutes du Gouffre. En tonton du rap bordelais qu’il est devenu, Fayçal invite huit rappeurs à venir poser en couplet pour représenter la capitale girondine – un rappel que, partout en France, des soldats du boom-bap continuent à le faire par amour. Le titre me rappelle aussi à quel point que je connais encore mal la scène rap de ma propre ville : si même l’endroit où j’ai grandi a encore tant de secrets pour moi, c’est que je ne tomberai jamais à court de choses à apprendre, et ça a quelque chose de rassurant.

Rassurant aussi, le pouvoir de l’écriture que chacun de ces morceaux vient me rappeler : la plume, l’art de sculpter l’émotion avec les mots, permettent de trouver du sublime jusque dans les flammes de l’enfer. Dans une époque aussi hardcore, c’est une leçon salutaire.

Fredo – Money Can’t Buy Happiness

Fredo a grandi dans une ville où il ne fait pas bon élever un enfant. L’atmosphère brutale des rues de West London, lui a très vite appris qu’il n’existait qu’une seule valeur absolue : celle de l’argent, qui seul donne le droit à la parole . Alors, il s’est jeté à corps perdu dans la fournaise de la violence, menant une vie rapide comme le BPM d’un classique de grime. À 26 ans, un album et un single au sommet des charts britanniques lui ont permis de poser un pied hors de l’enfer – son amitié avec Dave, qui assure la direction artistique de l’album, semble y être pour beaucoup – et il commence à réaliser qu’on lui a menti. Les richesses qu’il a accumulées lui ont peut-être apporté la satisfaction, mais il n’a trouvé ni l’accomplissement ni la paix. Dans ce deuxième album, il jette enfin un regard dans le rétroviseur après des années de course effrénée que ni les deuils endurés ni les sirènes de police sur la M-Way n’ont su ralentir. Money Can’t Buy Happiness est à la fois une célébration de ce que l’argent peut offrir et une mise à nu des plaies qu’il ne peut pas refermer.