G Perico – Welcome To The Land

Twitter est un putain de champ de mines aujourd’hui. D’un côté, l’agresseur sexuel de Miami qui se pavane en toute détente devant ses supporters et ses détracteurs comme si tout ça n’était qu’un mauvais épisode d’une mauvaise série destiné à divertir des voyeurs et que le trauma des victimes n’était qu’un rebondissement de plus. De l’autre, des fafs qui n’ont plus peur d’avancer à visage découvert et s’arrogent le droit de décider ce qui a sa place ou non dans la bouche d’un-e rappeureuse et ce que devrait ou non être le hip-hop. Jusqu’à se permettre de couronner leurs champions – blancs, comme par hasard – du titre de meilleurs représentants du rap, comme si c’était à eux qu’il appartenait de définir ce qu’est cette musique. Au nom de critères qui ressemblent plus à des stats de joueur FIFA qu’à des outils d’analyse esthétique, comme les chiffres de vente ou la fameuse « technique » qui se mesure apparemment à coups de Stabilo sur des schémas de rime, et dans l’ignorance crasse de la sueur, des larmes et des luttes de celles et ceux qui ont bâti ce qu’ils veulent s’approprier aujourd’hui.

Comme si tout ça n’était au fond qu’un bon vieux divertissement que l’on pourrait consommer entre une série Netflix et un live de Sardoche. Comme si le rap était devenu une sorte de gigantesque tournoi UFC pour le plaisir d’auditeurs-spectateurs avides de la dernière nouveauté, du dernier drama, dans une chasse perpétuelle à la nouveauté qui finit par vider la musique de son sens.

Twitter aujourd’hui, c’était le champ de mine. Pour autant, ça reste aussi un bête d’outil pour faire circuler la musique, et c’est grâce au réseau que je suis tombé sur l’EP que je chronique aujourd’hui – merci Pap’s pour le partage.

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Réécouter un projet de G Perico, ça me ramène à l’effervescence de 2015-2016. C’était le feu d’écouter du rap à cette époque là, quand l’ascension du rap aux sommets de la pop culture avait encore la saveur d’une victoire méritée, avant que vienne l’arrière-goût d’amertume qui prend aujourd’hui de plus en plus de place. Shit Don’t Stop n’était pas un des disques majeurs de cette époque, mais il était partie prenante de l’effervescence de l’époque.

Kendrick Lamar venait de sortir son hymne au son de Los Angeles, la West Coast sortait doucement de sa période ratchet, quand DJ Mustard était roi, pour revenir à un son plus rond, peut-être plus proche de celui des pères fondateurs Dre et DJ Quik. YG, en chef de file de cette génération avait signalé le changement de tendance en passant du son de My Krazy Life à celui de Still Brazy, Nipsey Hussle (Repose en paix) continuait son marathon. Quand G Perico avait débarqué, les mêmes jherycurls qu’Eazy-E sur le crâne et des sirènes plein ses prods, il semblait au diapason de l’époque, repreneur du flambeau de la West Coast éternelle. En 2017, All Blue poursuivait sur cette lancée, confortant le statut de jeune espoir du gangsta rap de son auteur.

Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais j’ai perdu sa trace depuis – sans doute trop absorbé par le flux constant des sorties pour prendre le temps d’écouter un rappeur qui ne secoue pas forcément les réseaux les vendredis soirs. Je constate en allant chercher Welcome to the Land sur Spotify qu’il y a eu quatre disques entre temps, que j’espère pouvoir me prendre bientôt. Pour le moment, parce que je suis quand même soumis comme tout le monde à l’attrait de la nouveauté la plus immédiate, et comme le format court correspond bien à une soirée où je n’ai pas des heures devant moi pour écrire, je me lance dans le court EP que le rappeur californien a sorti tout récemment.

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Welcome to the Land plonge l’auditeurice en plein cœur d’un territoire mythique du rap américain, dont G Perico est l’un des princes héritiers : The Land dont il est question, c’est South Central, Los Angeles et ses rues où on reconnaît de quel quartier viennent les meufs à leurs sourcils et à la voiture que conduisent leur darron. peuplées de pimps, de gangbangers et de homies dont tu ne seras jamais sûr qu’ils le sont pas prêts à te planter dans le dos si tu as le malheur de le tourner. La violence y est toujours prête à exploser, comme si la chaleur suffocante de l’été de Do the right thing durait toute l’année.

Neuf morceaux bleus comme un bandana des Crips, donc, courts et habités par l’urgence d’une vie rapide sur le bitume en fusion des boulevards de la plus grande ville de la Californie, dont l’héritage musical habite chaque prod. On retrouve une version presque intemporelle d’un gangsta rap dans l’économie de tout, sauf de la basse, qui occupe presque tout l’espace. Le flow de G Perico rebondit sur elle, part toujours dans une direction inattendue. Le rappeur est assez virtuose pour qu’on ne puisse faire autre chose que prêter attention au nouveau récit qu’il fait de ce territoire légendaire.

Perico ne parle pas de « la rue » , mais d’abord de ses rues « hit Crenshaw Boulevard then hit Broadway, that’s what I represent all day » . Dans la ville telle qu’il la montre, les gangs font partie intégrante de l’espace au point qu’ils en viennent à le définir (« I’m from the land where they gangin’ like crazy »). Logique donc qu’il ne puisse pas rapper d’une autre couleur qu’en bleu (« Every time I rap you know I spit Crip shit »). Dans une ville marquée par la violence, la survie devient une course effrénée vers l’avant (« « I can’t look back, I’m moving forward »), qui finit cependant par prélever son dû sur celles et ceux qui la courent. Dans « In Vain », on sent poindre la lassitude – la même que celle de Bodie Broadus qui commençait à se rendre compte que tout le monde ne jouait pas le jeu aussi honnêtement que lui. Heureusement, il reste quelques vrais, et si la chaleur devient étouffante mais tant qu’on parviendra à arracher les quelques milliers de dollars par mois pour payer le loyer d’une villa avec piscine, tout ira bien.

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