Devin The Dude – Soulful Distance

J’écris paisiblement ces lignes sur mon téléphone, bourrioulisé sur la plage avec le soleil qui me réchauffe le visage, en pensant au moment de la journée où il sera l’heure de déguster le nouveau projet de mon stoner houstonien préféré. Ce moment résume parfaitement ce que j’attends d’un album du Dude. Il ne s’agit que de chiller, de savourer sous des températures caniculaires tout ce que la vie a à offrir de jouissif : une basse ronde comme un gros cul, l’odeur de l’herbe qui se consume, les vannes d’un-e collègue en roue libre.

Je me rappelle son live à Berlin en 2017, où on avait traversé la ville avec ma pote pour aller le voir. L’air moite de la salle enfumée, le public en sueur, les larges sourires qui lacèrent les gueules quand Devin déroule ses classiques. Ça fait vingt ans de carrière que l’ex membre d’Odd Squadmature sa musique aux accents G-Funk à languis par la torpeur texanne. Sur Waitin’ To Inhale, le dernier projet de lui que j’ai écouté (le Still Rollin’ Up : Something to ride with de 2019 était passé sous mon radar), il était déjà au sommet de son art et déroulait sa formule déjà éprouvée. L’album tournait à merveille, comme le moteur d’une vieille Cadillac qu’on recouvre d’une énième couche de candy paint. Je n’attends rien de plus ou de moins de celui là : je veux juste que la ride continue, encore un peu plus longtemps….

Bien sur, c’est pas encore l’heure. J’ai des mails à envoyer, des factures à émettre, de la bibliographie à construire pour un article. What a job this is… Mais je sais que je me réserve un bon moment pour ce soir, ça suffit à en faire une bonne journée.

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La musique de Devin the Dude sent toujours le sexe, la weed et les fins de nuit d’été à rider en quête de l’un ou de l’autre. Mr. Copeland nous sert une autre livraison de ces hymnes hédonistes dont il a le secret, toujours en quête perpétuelle de la jouissance.

Pour autant, il ne faudrait pas voir en lui un hippie défoncé et souriant planant à des kilomètres au dessus du monde réel : même avec la tête dans des nuages de THC, il garde les pieds sur terre et une éthique de charbonneur. Loin des clichés sur la vie d’artiste, rapper reste avant tout un métier, et il faut arriver à s’y mettre même quand on plane loin au dessus du sol (« Higher than a Georgia pine, but it’s time to write rhymes »).

L’album donne l’impression de poser une oreille sur son quotidien, et il ne se raconte pas d’histoires sur lui-même : s’il sait être ce beau-parleur toujours prêt à répandre la bonne humeur autour de lui (« When your pussy lips frownin’ I help them smile again »), il se met tout aussi volontiers en scène comme un galérien lubrique – et mentionne sa bite un nombre assez impressionnant de fois. Le terme de « storytelling » supposerait une stylisation qui est à l’antithèse de ce que fait Devin sur cet album : il ne fait finalement que raconter sa vie, et s’il en célèbre les plaisirs, il n’en occulte pas pour autant les aspects moins reluisants. En témoigne par exemple les descriptions sans fard d’une nuit dans la vie d’un hustler sur « BREAK-fast ».

Devin fait des chansons pour supporter la galère d’être en vie malgré les emmerdes quotidiennes, pour garder cette soulful distance qui lui permet de continuer à jouir de sa liberté en dépit des tribulations. En cela aussi, il s’inscrit dans cette tradition de mise en musique du quotidien qui irriguait le blues comme les freestyles off the dome de la Screwed Up Click.

Pour composer la bande son de cette vie de débrouillard, il a puisé profond dans les racines de sa musique, du côté de la funk, du blues ou du reggae. Le spectre musical est large, et l’album charrie des décennies d’histoire du hip-hop (on entend même des scratchs) et de la musique noire, mais sans jamais donner l’impression de vouloir être un musée sonore : la force mystique qui parcourt tous les titres, et qu’il faut bien appeler le groove, rend le tout incroyablement vivant..

Il garde malgré tout les deux pieds ancrés dans le sol de Houston, et perpétue ce son chaud et sirupeux comme une gorgée de miel. Big Pokey et Lil Keke, anciens acolytes du légendaire DJ Screw (Repose en paix), viennent prêter main forte le temps d’un couplet chacun sur « Just Ridin’ By » qui ne demande qu’à couler à travers les fenêtres ouvertes d’une Cadillac depuis un gros set d’enceintes. On retrouve aussi Jugg Mugg, son ancien partenaire d’Odd Squad, et les poids lourds de Houston Slim Thug et Scarface, qui livrent des couplets de grande classe .

Quand Devin Copeland chantonne, c’est du velours pur, quand il rappe, c’est presque sur le ton de la conversation, mais toujours avec une maîtrise technique irréprochable : un artisan de la rime, qui remplit ses albums d’une vibe tranquille, ensoleillée. Tout est organique, naturel, chaud, comme une assiette de soul food remplie jusqu’à déborder

Ça ne serait pas un album du Dude sans un hymne pour les fumeureuses de ganja : il prend donc congé avec « We Smokin’ », pour une dernière rasade d’énergie positive – assez pour tenir jusqu’à la prochaine livraison.

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